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Malgré-elles streaming avec sous-titres 2160p

“Malgré-elles”, du drame au mélodrame

Malgré-elles © Benoit Linder / Italique Productions

En vulgarisant le destin de milliers d'Alsaciennes embrigadГ©es par le IIIe Reich, le tГ©lГ©film s'Г©gare. Au grand dam de la documentariste Nina Barbier qui en a exhumГ© l'histoire.

Avant d’être abordée dans un téléfilm, l’histoire des Alsaciennes mobilisées dans les unités paramilitaires allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale a été racontée dans un documentaire instructif, en 1999. Les Malgré-Elles (1). Fruit d’un long travail d’enquête, ce film émouvant découle de la propre histoire de son auteure, la documentariste Nina Barbier. qui a découvert à l’adolescence l'histoire de sa mère, aujourd’hui disparue. Partant d’une photo de cette dernière en uniforme de l’armée allemande, Nina Barbier débusque un versant secret du passé maternel. « La honte d’avoir été obligé de travailler pour l’ennemi a perduré, longtemps, en Alsace. Tout un pan de cette jeunesse brisée avait été enseveli. J’ai dû déterrer beaucoup de choses enfouies sous les tabous et les non-dits. »

La réalisatrice réussit à faire parler plusieurs anciennes « auxiliaires de guerre », dont sa mère, aussi réticente à se dévoiler que ses condisciples, embrigadées par le ReichsArbeitsDienst – service national du travail –, puis affectées dans diverses unités en Allemagne. armée de l'air, hôpitaux militaires, usines de munition, télé-transcriptions… Ces rescapées du travail forcé et de la germanisation sous régime nazi finissent par s’épancher. En 2008, presque dix ans après l’enquête de Nina Barbier, qui a également publié un livre sur le sujet (2), les 5800 « malgré-elles » encore en vie obtiennent enfin reconnaissance et sont indemnisées – vingt-sept ans après leurs homologues masculins, les « malgré-nous ».


Les Malgré-elles, documentaire de Nina Barbier.

Séduite par ces trajectoires singulières jamais traitées en fiction, la productrice Hélène Delale contacte Nina Barbier pour ébaucher un projet de téléfilm. Enthousiaste à l’idée de vulgariser cette histoire méconnue, la documentariste s’attelle à la première mouture du récit. Mais entre le synopsis et le scénario final, la trame narrative va considérablement évoluer. Résultat, la moitié du téléfilm réalisé par Denis Malleval évoque une réalité bien éloignée de la thématique alsacienne. les Lebensborn – « Fontaines de vie », en vieil allemand –, ces effrayantes maternités créées par Heinrich Himmler, chef de la SS, pour assurer au IIIe Reich une élite « aryenne », « racialement pure ». Dix-neuf foyers Lebensborn ont été bâtis en Allemagne, de 1935 à 1944. ils ont hébergé des filles-mères, qui « offraient » leur bébé au Führer, mais aussi de jeunes Allemandes, volontaires pour s’unir aux SS ou aux officiers de la Wehrmacht, et, dès 1939, des milliers d’enfants kidnappés en territoires occupés (Pologne, Ukraine…).

Au milieu du téléfilm, les héroïnes, Alice et Lisette, sont accusées de sabotage dans une usine de fabrication d’obus, et conduites par un Obersturmführer (lieutenant) dans une maternité SS. Peu crédible, la seconde partie de Malgré-elles verse dans une description édulcorée du fonctionnement d’une pouponnière du Reich… et établit un lien malencontreux entre les résidentes du Lebensborn et les Alsaciennes. Dans la réalité, aucune incorporée de force n’a été amenée dans ces sordides établissements d’expérimentation eugéniste.

Pourquoi avoir associé les deux thèmes, au risque de créer une confusion dans l’esprit du public. Nina Barbier avance une première explication. « Pour des raisons d’évolution dramatique du récit, Alice et Lisette atterrissent là. C’est cohérent dans le film, mais contraire à la vérité historique. Je me suis battue contre la production et la chaîne, qui tenaient absolument à mélanger les deux faits. Les pouponnières de SS-Kinder n’ont rien à voir avec l’Alsace. elles ont été créées en Allemagne pour des Allemandes. » .

Hélène Delale, la productrice qui a proposé le sujet à France 3, concède. « L’argument de départ était de raconter la vie de ces très jeunes Alsaciennes, enrôlées dans l’effort de guerre allemand. Mais il y a malheureusement eu ce rapprochement parce que France Télévisions trouvait que le sujet des « malgré-elles » ressemblait trop à un récit de STO (service du travail obligatoire, ndlr), et manquait de dramatisation et de rebondissements pour un téléfilm de 90 minutes. On a donc eu l’idée de mélanger deux histoires qui, historiquement, n’ont effectivement rien à voir » .


Malgré-elles. téléfilm de Denis Malleval.

Nina Barbier excuse plus difficilement certaines concessions. « On nous a imposé cette histoire de Lebensborn, pour accentuer la dramaturgie. C’est comme si on avait inventé, par exemple, au sujet des mouvements de résistance, un fait totalement incongru. » La documentariste, qui confie avoir initialement rédigé « une histoire beaucoup plus dure ». pose la question. « Est-ce qu’on veut la vérité historique dans un film de fiction. » Pour sa part, Hélène Delale a tranché. « Malgré-elles est une œuvre de fiction sur des destins inventés, à partir d’éléments historiques. On ne revendique ni le côté documentaire, ni la véracité historique. Le but était plutôt d’accrocher le téléspectateur et de lui donner une histoire assez forte pour qu’il s’y intéresse jusqu’au bout » .

(1) Les Malgré-Elles. documentaire de Nina Barbier (1999), diffusé sur France 3 Alsace, en 2001.

(2) Malgré-elles, Les Alsaciennes et Mosellanes incorporées de force dans la machine de guerre nazie. La Nuée Bleue, Strasbourg, 2001.